Québec : une nouvelle vision de l’économie maritime

Blue Innovation. Le 29 juin 2015 est une date historique pour le Québec. Celui-ci s’est en effet doté d’une première grande stratégie pour son économie maritime : la Stratégie maritime du Québec à l’horizon 2030. Quel est le bilan, à ce jour, de la mise en œuvre de votre stratégie ?

Georges Farrah. Tout d’abord, je dois dire que le Premier ministre du Québec, en mai 2014, a, pour la première fois, nommé un ministre exclusivement consacré à cette importante mission. Il a créé également le Secrétariat aux affaires maritimes au sein du ministère du Conseil exécutif, soit au sommet de l’administration publique ; deux gestes importants. Le Secrétariat aux affaires maritimes, que je représente aujourd’hui avec beaucoup de fierté, est composé d’une équipe talentueuse et de grande expertise, qui m’appuie de manière très efficace dans notre mission de mise en œuvre et de coordination. Le Plan d’action 2015-2020 de la Stratégie a permis, à ce jour, de fédérer une majorité des acteurs de l’économie maritime du Québec afin de constituer un grand réseau d’expertise en faveur du développement d’une économie maritime durable et intelligente. La preuve en est la création du Réseau Québec maritime, le fer de lance de la recherche et de la coopération scientifique au Québec. Le bilan de mi-parcours de ce premier plan d’action s’avère très positif. La Stratégie maritime a connu un grand succès d’estime. Le Québec innove. Il est aujourd’hui un acteur territorial de classe mondiale hautement apprécié, particulièrement pour sa contribution sur la scène canadienne et internationale.

Compte tenu de ce bilan de mi-parcours, que compte faire le Québec pour poursuivre sa démarche ?

L’économie maritime du Québec est aujourd’hui élevée à un niveau de concertation jamais atteint auparavant entre les acteurs des différentes filières. Le Québec est, plus que jamais, l’endroit propice pour innover, pour s’installer et pour investir.

Au cours de la seconde moitié du Plan d’action, soit de 2018 à 2020, la stratégie avec nos partenaires gouvernementaux, non gouvernementaux et internationaux doit nous permettre de parfaire nos connaissances et nos manières de faire. Notamment, il nous faut établir une nouvelle démarche de concertation pour rejoindre la quasi-totalité des intervenants afin que le Québec devienne, d’ici à 2030, un acteur majeur et performant de l’essor d’une économie maritime mondiale innovante, aussi appelée « l’économie bleue » du marché international.

Il s’agit d’une nouvelle vision de l’économie maritime. Cette vision de l’économie bleue est fondée sur plusieurs initiatives : le développement durable et intelligent de l’économie, la réduction accélérée de l’empreinte carbone et écologique ainsi que l’acquisition de nouvelles connaissances et de solutions d’affaires et technologiques pour les filières traditionnelles et émergentes, en faveur de la santé humaine et de la protection des écosystèmes fluviaux, marins et océaniques. Cette vision mise particulièrement sur le progrès social et économique des communautés côtières locales et régionales. Nous travaillons pour le Québec et pour l’ensemble de la communauté internationale.

Il est tout à fait remarquable de constater la vitalité des filières traditionnelles du domaine maritime au Québec, qui ne cessent d’innover pour demeurer compétitives et pour se hisser au plus haut rang de l’échiquier international. Je pense, entre autres, au port de Montréal et à son écosystème d’entreprises de logistique du transport des marchandises, qui sont parmi les plus efficaces et évolués au monde. Par ailleurs, le Québec consacre des efforts à la croissance de filières émergentes. Auriez-vous un exemple à nous donner dans ce cas-ci ?

Vous avez raison. Le Québec travaille de manière très dynamique, sur deux fronts : les filières historiques et les filières émergentes de l’économie maritime. Dans le cas des filières traditionnelles, dont celles du transport maritime et des installations portuaires, de l’industrie navale et du nautisme, nos réflexions portent actuellement sur les moyens du XIXe siècle pour innover, notamment pour propulser le développement des filières de la navigation intelligente internationale et des navires autonomes. Nous puisons nos espoirs dans la présence, à Montréal et à Québec, des plus hautes concentrations d’universités, d’organisations internationales et de cerveaux dans les domaines de l’intelligence artificielle, de l’optique et des sciences environnementales. Ces filières doivent apporter des solutions techniques tant à l’utilisation accrue de l’électricité et des énergies solaire, éolienne ou faibles en carbone, comme le gaz naturel, qu’à la réduction des répercussions sur les écosystèmes et les mammifères marins.

En ce qui concerne les filières émergentes, j’ai un très bel exemple à vous donner, dont je suis très fier. Il s’agit de la filière québécoise des biotechnologies marines, une filière phare de l’économie bleue. Lorsque nous sommes arrivés avec la Stratégie maritime, en 2015, nous avons constaté la présence d’une jeune filière composée d’organisations de recherche et d’entreprises du domaine, qui nous permettait d’espérer un fort potentiel de croissance dans l’exploitation responsable des algues et des ressources halieutiques et dans la valorisation de la biomasse marine. Après étude et analyse, nous avons décidé de renforcer la concertation de cette filière et de l’accompagner dans son évolution.

Nous avons d’abord composé une délégation ministérielle de vingt-six représentantes et représentants pour participer en force, en 2016, au congrès d’affaires BioMarine à Oslo, en Norvège. À la suite de cette action internationale, le Québec a accueilli, à Rimouski, ce même congrès, en 2017, de la façon la plus constructive qui soit. Son Altesse Sérénissime le prince Albert II de Monaco et le Premier ministre du Québec y prenaient part pour en témoigner, aux côtés du président de BioMarine et des dignitaires du Portugal, de l’Argentine, de la France, de la Commission européenne et du Canada. Dans un deuxième temps, notre gouvernement a décidé de proposer à la communauté québécoise un plan d’action, la constitution d’un comité exécutif de la grappe industrielle (cluster), et une enveloppe budgétaire, soit le Fonds bleu, le tout devant permettre à la filière des biotechnologies marines de s’épanouir dans toutes les régions du Québec.

Aujourd’hui, la filière québécoise participe de manière plus concertée et stratégique à la mise sur pied de solutions avec la communauté internationale des biotechnologies marines. Les membres du comité exécutif de notre filière seront présents au congrès BioMarine 2018, à Cascais au Portugal, pour en témoigner. Je vous invite également à vous rendre sur le site Internet Biomarine.org pour prendre connaissance de nos activités.

Le Canada et l’Union européenne ont récemment signé l’Accord économique et commercial global de libre-échange. Cet accord aura-t-il des retombées sur l’économie maritime du Québec ?

Oui. L’Accord économique et commercial global de libre-échange (AECG), dont les dispositions sont appliquées provisoirement depuis un an, a notamment des retombées positives sur les activités du port de Montréal. Les importations à ce port ont augmenté de 25 % depuis un an (conteneurs), et la moitié de cette augmentation provient de l’Europe. Nous comprenons que l’Accord est en partie la cause de cette augmentation. Nous prévoyons, au fil des années, des augmentations substantielles des exportations et des importations entre le Canada et l’Europe. Par conséquent, il y aura une croissance des volumes transportés sur le Saint-Laurent. Nous sommes conscients que cela signifie également une augmentation du trafic maritime à destination ou en partance des ports et des zones industrialo-portuaires du Saint-Laurent. Nous sommes donc vigilants face aux risques accrus d’incidents maritimes que cela pourrait engendrer. C’est pour cette raison que nous avons créé, en 2017, le Centre d’expertise sur la gestion des risques d’incidents maritimes (CEGRIM). Avec la collaboration du gouvernement du Canada, nous souhaitons que le CEGRIM dote le Québec d’une structure opérationnelle de prévention et de préparation selon les attentes les plus élevées pour un régime de classe mondiale. Par ailleurs, la croissance estimée du trafic maritime des marchandises doit être associée inextricablement à des mesures durables visant le transport maritime intelligent et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, dans le respect de l’Accord de Paris sur le climat et des décisions de l’Organisation maritime internationale. Avec l’Institut France Québec pour la coopération scientifique en appui au secteur maritime (IFQM), que nous avons créé en octobre 2016 et dont le secrétaire général de la mer de France et moi-même coprésidons le Comité bilatéral, nous entendons nous mobiliser pour une mise en œuvre exemplaire de l’AECG dans le domaine du transport maritime afin de développer la connaissance et de concevoir les instruments d’aide à la décision les plus performants.

Le Canada a présidé le dernier Sommet du G7, les 8 et 9 juin 2018, qui s’est tenu à Charlevoix, au Québec. Parmi les cinq thèmes à l’ordre du jour, celui des changements climatiques, des océans et de l’énergie propre a été discuté. Que retenez-vous de ce sommet ?

Ce sommet a permis d’éveiller l’intérêt d’une plus grande partie de la population et des autorités de la planète sur certains enjeux de l’économie bleue. Par exemple, ceux du plastique, des eaux de ballast et de la surpêche dans les océans ont été débattus.

L’enjeu du plastique est particulièrement intéressant. Le Canada, la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Union européenne se sont entendus au sujet de la Charte sur les plastiques dans les océans, ce qui représente une étape positive pour l’environnement. Je souligne avec grand intérêt le projet de consortium international sur les bioplastiques biodégradables, qui sera discuté au congrès BioMarine le 3 octobre 2018, à Cascais. Quatre organisations et entreprises du Québec participeront aux échanges. Il faudra suivre de près l’évolution et les retombées de ce projet pour la filière des biotechnologies marines du Québec. À l’occasion du Sommet du G7, le Premier ministre du Québec a reçu, le 8 juin, à Québec, des dignitaires et des représentantes et représentants de plus de douze pays et organisations internationales. Une réception d’honneur sur le thème de l’économie bleue a été organisée afin de favoriser le réseautage de ces gens avec des porte-parole des principales filières de l’économie maritime du Québec.

Pour terminer, Monsieur Farrah, quels sont les projets qui vous tiennent à cœur pour l’économie bleue au cours des prochains mois et années ?

Le premier projet est d’unir les forces vives de l’ensemble des acteurs au Québec dans le développement de cette nouvelle économie bleue du XIXe siècle, à l’ère de l’économie du savoir, du numérique, de l’intelligence artificielle et de l’économie circulaire. Le Secrétariat aux affaires maritimes envisage d’intégrer un projet de charte de l’économie bleue au Québec dans le plan d’action 2020-2025 de la Stratégie maritime.

Le deuxième projet est celui de créer une plate-forme technologique commune d’archivage et d’acquisition de données et de connaissances pour traiter tous les enjeux du territoire et de l’économie maritime du Québec, avec des indicateurs de suivi plus performants. Je suis convaincu que la réussite de l’initiative d’économie bleue passe par une collaboration plus étroite de toutes les parties prenantes afin d’assurer que chacune des organisations et entreprises de chaque filière sera en mesure de prendre les meilleures décisions tant au Québec qu’à l’échelle internationale

Georges Farrah

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